Wanaka, 17 novembre. C’est une bien étrange façon de redonner vie à mon blog. Je l’ai laissé momentanément de côté pour profiter au maximum de chaque moment de mon voyage. Pourtant, aujourd’hui j’en ai besoin. Car je suis seule et loin. Car je n’ai personne avec qui partager mon chagrin, ma tristesse, ma colère. Car mon cœur est lourd et difficilement au voyage. Car oui, malgré la distance, les évènements parisiens m’ont marquée, touchée, bouleversée.
Au fin fond de la Nouvelle Zélande, je me sens plus que jamais française et parisienne.
Samedi 14 novembre. Je me réveille dans le froid glacial néo-zélandais. Je roule une petite heure jusqu’à Te Anau, petite ville du Fiordland, où j’ai l’espoir de me prendre un café chaud. Je ne sais pas où je vais dormir le soir même. Je décide donc d’aller à la bibliothèque, un des seuls endroits où le wifi est gratuit. Je me connecte. Un ami me voit connectée sur Messenger et vient prendre quelques nouvelles. Et c’est là que tout commence. Il me parle. Je me souviens de ses mots et de l’enchaînement qui a suivi. Fusillade. 10e arrondissement. République. On se dit d’abord « Quoi encore !? » On se remémore rapidement les évènements de janvier dernier et sommes d’avance terrifiés, avons une énorme boule au ventre. Je suis suspendue à mon téléphone. On ne prend pas immédiatement conscience de la gravité, mais très vite la réalité nous rattrape. Les nouvelles tombent. On parle d’une prise d’otages au Bataclan. Là on comprend que ce qui se passe est sérieux. Le temps file. Je suis gelée. Mais ce n’est pas grave, mon sang ne fait qu’un tour. Je prends des nouvelles des amis avec lesquels j’ai pour habitude d’aller boire des verres à Belleville. On est vendredi soir là bas, à l’heure où les bars battent leur plein. Heureusement, nombre d’entre eux sont loin ou en sécurité, chez eux. Un ami me parle, me dit qu’il est passé rue Bichat une heure auparavant. J’en tremble encore.
Je reste là, figée, incapable de bouger de cette bibliothèque. Je me sens tellement impuissante à 19.000 kms de là. Et en même temps sur place, qu’aurais-je fait ? A part attendre et espérer. Le bilan commence à tomber. De 30 morts, on passe rapidement à 60. Je prends la route, car après tout que puis-je y faire ? Mais je m’arrête 1h après au premier café rencontré. Vite internet, je ne peux pas m’en empêcher. Le couple d’australiens gérant le café me regarde étrangement. Je suis suspendue à mon téléphone, tendue. Mais pour moi plus rien n’existe autour, mon corps est ici, mais ma tête à Paris. On parle de l’assaut au Bataclan et du bilan. Au moins 120 morts. C’est un carnage. Une boucherie.
Je me sens lasse et si seule, loin des miens. J’aimerais hurler, pleurer, mais autour de moi, les gens sourient. Ils ne savent pas. La vie continue. D’ailleurs elle ne s’est pas arrêtée ici, dans ce coin du bout du monde. Je n’ai personne avec qui partager mon désarroi. C’est terrible. Après avoir parlé à l’ensemble de mes amis, et vérifié que tout le monde allait bien, je reprends la route. Seul mon frère ne m’a pas répondu, mais il doit sûrement travailler à cette heure-ci, et pas tellement du genre à aller à Belleville ou au Bataclan. Je ne suis pas trop inquiète pour lui mais ai hâte qu’il me fasse un signe de vie.
Ce soir là, je me pose dans un camping. M’enferme dans ma voiture, qui me sert également de lit parfois. Et je pleure. Je pleure parce que je me sens loin de mes proches à ce moment. Je pleure parce que moi aussi j’ai eu peur. Je pleure parce que face à ce déferlement de violence et de haine, on se sent petit, vulnérable et tellement impuissant. Je pleure parce que la bêtise et la cruauté nous rattrapent toujours, où qu’on aille, où qu’on soit. Et moi ce jour là, j’étais à Wanaka.

Le sang a coulé. Ma ville a saigné. Je me sens meurtrie au plus profond de moi-même. Désormais, quand on me demande d’où je suis, ce ne sont plus des étoiles que je vois dans les yeux des gens que je rencontre. C’est de la pitié, de la tristesse. Ça me ramène toujours plus à ces tragiques évènements. Mais aussi à la fierté que j’ai d’appartenir à cette ville, la ville lumière, que j’ai hâte de revoir briller de ses 1000 feux.
Car oui, Paris, je t’ai quittée. Mais ce n’est que pour mieux te revenir… Tu m’as vu naître, grandir, étudier, travailler, rigoler, sortir avec mes amis, boire, aller au cinéma, y être amoureuse, tout simplement vivre. Comme tous ces jeunes qui ont perdu la vie en ce tragique vendredi 13. Car oui, ça aurait pu être moi à la terrasse du Carillon ou du petit Cambodge. Ça aurait pu être moi en train d’écouter un concert de rock au Bataclan. De m’éclater et de profiter comme bon me semble de la vie. J’ai la chance d’avoir été loin à ce moment là. Mes amis et ma famille ont été épargnés. Pourtant tous ces visages inconnus que j’ai vus défiler sur internet, tous ces gens au destin brisé d’un coup de kalachnikov, j’ai eu l’impression de les connaître depuis toujours. Car on au fond, on a tous le même but, la même envie : vivre et être libres.
Moi en tout cas, c’est le choix que j’ai fait. Vivre pleinement, profiter de chaque instant, ne pas renoncer à mes rêves. En voyageant, en partant découvrir les richesses de notre monde, qui est bien meilleur que ce que ces quelques imbéciles ignorants pourraient nous laisser penser. Et je compte bien poursuivre sur cette voie. Non ce ne sont pas quelques ratés avides de sang qui vont me gâcher mon voyage. Mais par contre, je vais en profiter encore plus qu’avant. Jouir de ma liberté comme jamais. On se rend compte dans ces moments à quel point elle est précieuse. Car un jour quelques idiots peuvent décider de vous la prendre, sans prévenir… mais les pauvres, au fond ils sont plus à plaindre, car contrairement à ces jeunes morts de savoir s’amuser et aimer, eux sont morts sans jamais avoir connu le bonheur que c’est !
Fluctuat Nec Mergitur,
From Wanaka to Paris with love.
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